Antigone, jeune maman de Marcel

Avant d’être enceinte, j’ai vu par hasard le film « Entre leurs mains » qui montre des sages-femmes accompagnant des accouchements à domicile. Jusqu’alors, je n’avais jamais pensé que le lieu d’accouchement pouvait être questionné. L’idée a fait son chemin et mes nombreuses lectures m’ont amenée à décider que ma maison serait le meilleur endroit pour faire naître notre enfant.

Il a ensuite fallu convaincre A. et trouver une sage-femme pour nous accompagner. Pas simple.

Et puis… La poche des eaux se fissure un soir. A 37 SA et deux jours de grossesse. Autant dire que c’est une surprise !

Quand je l’annonce à A., il me regarde mi-amusé («  je m’inquiète toujours pour un rien »), mi-flippé. Nous ne sommes pas prêts ! La nuit est difficile, B. la sage-femme qui remplace C. en vacances, va venir le lendemain matin mais je suis inquiète. Je n’ai pas de contractions, j’ai donc dû faire quelque chose qui a entraîné cette rupture ? J’imagine déjà que l’accouchement ne se fera pas à la maison, qu’il va falloir aller à l’hôpital …

La visite de B. me rassure. Elle confirme la rupture de la poche des eaux. Notre bébé va donc naître dans les prochaines heures. Le monitoring montre que le bébé va bien. Je suis allongée sur le côté et non sur le dos parce que cette position m’est désagréable. Elle m’explique que nous avons un peu de temps pour laisser le travail débuter seul. Et s’il faut un coup de pouce, on pourra le faire sur le plateau avec elle et C. Tout va bien.

accouchement à domicile

A. va au travail. Je suis rassurée, mes sages-femmes seront avec moi quel que soit le scénario mais je passe malgré tout une journée pénible. Je ne suis pas prête. Il faut que je me fasse à l’idée, en quelques heures, que ma grossesse est terminée, qu’il va falloir laisser ce gros ventre reprendre sa forme initiale. Je pensais avoir du temps encore à le caresser et à le regarder prendre de l’ampleur. J’ai aimé être enceinte, je suis tellement triste que ça s’arrête. Alors je passe la journée à faire ce deuil, inactive à la maison. C. revient le soir, le bébé va bien.

Le lendemain, C. est là. Elle devrait être en vacances mais elle m’aidera à faire naître notre bébé. Elle m’interdit de rester allongée ou assise aujourd’hui. Il faut que le bébé descende et je n’ai toujours pas de contractions. Depuis hier, A. s’agite pour ranger, nettoyer la maison, clôturer des dossiers urgents. Je crois qu’il a besoin de s’activer pour éviter de se laisser envahir par le stress. Ma prof de Pilates vient à la maison pour lui montrer où est mon sacrum et tous les points de pression qui pourront m’aider à supporter les contractions. Il a acheté un livre il y a quelques semaines mais nous n’avons pas eu le temps de tout étudier ! A. retourne ensuite au travail.

Je passe le reste de la journée à marcher dans la ville à un bon rythme. J’achète les enveloppes pour les faire-parts et des vêtements pour mon bébé. Il devrait être tout petit s’il arrive si tôt, je n’avais pas prévu ça. Je pleure dans le magasin en lui choisissant ses premiers vêtements. Ça y est, je suis prête. Je le lui dis. Hier je n’étais pas prête, mais aujourd’hui je suis d’accord pour l’accueillir. Et je marche encore et encore. Je retrouve A. le soir plus serein lui aussi. Nous passons notre dernière soirée à deux je le sais.

Dans la nuit les premières contractions arrivent. Je me force à ne pas dormir pour évaluer leur fréquence. Toutes les trente minutes. Nous avons encore du temps, je me rendors.

C. et B. viennent le lendemain matin pour le monitoring. J’ai bien des contractions, le bébé va bien, nous ne retrouverons à midi pour faire le point. Nous sortons avec A. pour marcher et faire des courses pour pouvoir nous nourrir pendant plusieurs jours. Quelle sensation étrange. J’ai envie de dire aux gens que je suis en train d’accoucher ! A. tient le journal de mes contractions. Toutes les trois minutes. Je dois m’arrêter pour gérer certaines mais je me sens bien.

Nous rentrons à la maison. A. prépare le repas. Je sens que nous entrons dans une nouvelle phase du travail. Les contractions sont bien plus intenses. Je commence à devoir me concentrer et prendre des appuis contre les murs. B. arrive. Le monitoring se fera debout alors que je me balance d’une jambe à l’autre pour me soulager.

Très vite, j’ai besoin que A. m’accompagne pour gérer les contractions. Il est derrière moi, je m’appuie contre lui tout en poussant la table devant moi. B. se fait ensuite discrète puis nous laisse seuls. Elle reviendra vers 16h mais elle sera tout près si nous avons besoin d’elle.

Les contractions sont maintenant à un bon rythme. Elles durent maintenant une minute et me laissent une minute de repos. Je les ressens comme de lentes vagues qui prennent toute la place dans mon corps. Je m’ordonne au début de chacune d’elle de me détendre pour les laisser faire leur travail. Ne pas aller contre elles, les accompagner, leur laisser toute la place et ne pas les laisser me submerger. Alors je me détends. De la tête aux pieds, une contre-vague de détente face au raz de marée. Et je vocalise. Je suis étonnée, j’étais sûre que ça ne serait pas mon truc. Mais c’est puissant, comme si ça ne venait pas de moi ! Je réponds aux contractions par ces sons. Et je m’appuie avec force contre A. Les rares contractions que j’ai eu à gérer sans lui ont été terribles. J’ai eu peur et j’ai eu mal. Avec lui, je m’en sors bien.

B. revient à 16h et il est prévu que C. nous rejoigne à 17h. B. propose de m’ausculter mais je veux attendre le plus longtemps possible ! Une dure négociation se fait alors avec moi-même ; je mets de plus en plus d’énergie à gérer les contractions et je sens bien que si elles augmentent encore en intensité, je ne pourrais bientôt plus faire face. Et il me faudra de l’aide et donc un transfert à la maternité. Je voudrais que mon col soit ouvert à 8 cm. Je négocie de tenir bon si c’est 6 car C. saura me redonner de la force, j’en suis sûre. Si c’est moins …

Pendant cette heure d’attente, je sens mon corps pousser. Incroyable sensation ! Mais je suis effrayée puisque comme je le dis à B. je n’ai pas pu empêcher la poussée alors qu’elle nous avait bien expliqué pendant les cours de préparation qu’il ne fallait pas pousser avant que ça ne soit le moment ! Elle me dit de laisser faire. Je ne comprends pas, je n’arrive pas à discuter avec elle à cause de la fréquence des contractions. D’autres poussées se font sentir, je tente de les contenir mais c’est puissant.

C. arrive enfin. Elle me demande si elle peut m’ausculter, je n’attends que ça !

Je suis toujours debout dans mon salon quand elle me dit « Ton bébé est là ! Il faut pousser maintenant ! ».

Je sanglote de surprise, de soulagement, de fierté. Nous n’en étions pas à 8 cm, ni à 6, ni à envisager une péridurale, c’était fini, nous avions réussi !

Enfin… presque terminé !

Il se décide que la poussée se fera dans le salon, sur les tatamis. Rapidement B. et C. installent tout, préparent le nid et à 17h10, je suis à quatre pattes devant le canapé, la tête dans les coussins, contre A. Je suis concentrée sur mon corps, je n’entends rien de ce que dit C., A. me rapporte ses conseils et encouragements et ajoute les siens. Mais je n’ose pas accompagner la poussée. Je ne comprends pas ce que je dois faire. Je ne connais qu’une seule façon de pousser et ce n’est pas le lieu ni la position pour ça ! Je sens pourtant que l’on m’encourage à essayer quelque chose alors je tente cette poussée et oui, mon bébé progresse bien !

C. me propose de venir toucher sa tête, je suis fébrile, je ne suis pas encore prête.

Elle nous demande maintenant de chuchoter, sa tête va bientôt sortir totalement.

Encore une poussée, sa tête est sortie. A. est invité à le regarder. Il voit son visage et j’ose alors toucher sa tête pleine de petits cheveux. Mon bébé est bien là ! Je pousse encore, tout son corps sort du mien et C. me le fait passer sous mes jambes. Je peux enfin me reposer contre A., notre tout-petit dans les bras enveloppé dans une serviette. Nous restons un long moment à le regarder, à le trouver parfait et si petit, à n’être pas sûr de bien réaliser qu’il est déjà là, né dans notre salon sans difficulté.

Je propose à A. de regarder qui nous avons entre les bras. Bienvenue petit Marcel.

B. et C. nous laissent faire connaissance et mettent de l’ordre. Le cordon sera coupé après avoir attendu qu’il cesse de battre. Il me faudra ensuite laisser A. et son bonhomme pour la délivrance du placenta. C. m’ausculte, je n’ai que deux éraillures dont une nécessitera trois points. Je peux ensuite me doucher. Et rejoindre tout le monde pour dîner, assise là où mon bébé est né.

Pendant une semaine, nous ne sommes pas sortis de notre cocon. B. et C. sont venues tous les jours pendant une semaine pour aider à la mise en place de l’allaitement. Une fois le cordon tombé, elles nous ont montré comment donner le bain à notre bébé. C. a tenu à raconter avec nous l’accouchement afin de s’assurer que tous les gestes ont été compris et qu’il ne nous restera ni peur ni interrogation.

Tout a été doux, tout a été calme.

Et je peux dire que j’ai adoré accoucher.